jeudi, 12 mars 2009
LES DOULEURS SE RESSEMBLENT
Souvenez-vous, bien sûr, tout le monde a connu ça : « À vingt ans / Les amis se ressemblent / Quand nous nous retrouvions / Dans la chambre ensemble / Grappe de raisins grains d’épi / Nous étions amis / Mais la vie nous a désunis / Grappe de raisins / Nous étions copains / Mais la vie toujours / Fait son pain / Comme des épis nous étions unis / Serrés tout autour / De la table / Détestable / Était le vin ».
C’était exactement cela : une table et une mauvaise bouteille dont on ignorait qu’elle était mauvaise. Et d’ailleurs, elle ne pouvait l’être puisqu’elle était la première, ou une des premières. L’amour n’est fait que de premières fois, on le sait bien. « À vingt ans / On aime la musique / Nous avions des instruments / Antiques magiques / Grappe de raisin grains de blé / Nous étions liés ». Bien sûr, rappelez-vous que « Comme des épis nous étions unis / Serrés autour / D’une guitare »… et maintenant ? C’est simple, « Il s’égare / Notre refrain ».
Il y avait cet amour de hasard, rencontré aux heures amicales entre mauvais vin et guitare plus ou moins accordée, en des temps où l’on s’aimait vite, enfin, on croyait : « Et c’était toi et moi / Et nous ne savions / Même pas nos prénoms ». À ce rythme, tout cela n’était pas solide et voilà, à présent : « Comme des épis nous avons mûri / À cette table on perd sa place / Il s’efface / Notre chagrin ». Tout va si vite, l’amour en premier lieu, qui roule en dérisoire Formule 1 : « Ma lèvre a saigné ce matin / Sous ton baiser c’était hier / Et c’est déjà trop loin ». Pourquoi tout disparaît-il ainsi avec l’allure du vent glacé qui retrousse les cœurs plus que les manteaux ? Où est l’autre ? « Proche comme un mirage / Ton clair visage / Qui va et qui vient / Surgit comme l’écume / Comme la brume / Il disparaît loin ». Le temps-brûlure devient, paradoxalement, celui qui cicatrise puisque « Plus douce chaque jour / Ta meurtrissure / Il n’est pas de mal sans amour / Et ma blessure / Toujours s’apaise et meurt / Et renaîtra toujours ». Aussi souvent, en tout cas, que les jeunes amours naîtront dans l’odeur des soirs où le vin est détestable, mais où l’amitié sent la cire d’abeille.
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lundi, 02 février 2009
D’HIVER ET D’ÉTÉ
Dans les chansons – pas uniquement celles de la Belle – l’amour ne dure guère. On peut sans risque parier qu’il existe davantage de chansons d’amour tristes que d’autres, où éclate le bonheur. C’est d’ailleurs un bon test : une œuvre chantée vaut ce que valent les chansons d’amour qu’elle contient.
On peut ensuite les rapprocher selon leur éclairage ; par exemple, L’Hiver des cœurs et L’Heure d’été. Au travers de deux saisons, mystère de deux chansons, l’amour a un visage identique. « L’hiver des cœurs / C’est la saison / Des longues heures / À l’abandon ». Cependant, dit la chanteuse qui n’en peut mais : « Pour notre amour je veux toujours / L’heure d’été / Et le plus long de ses longs jours / Enchanté ». Alors, comment faire, puisque, dans l’immédiat, « Les statues sous leurs casques / Ont blanchi / Les poissons dans leurs vasques / Ont pâli / C’est l’hiver la bourrasque / À Paris / Et la neige est un masque / À la vie » ? On rêve un peu, on se dit au contraire que « La lumière s’y boit comme un verre d’eau limpide / Le temps est fluide et va durer » afin de pouvoir insister : « Pour notre amour je veux toujours / L’heure d’été » et l’on fait semblant d’y croire, mais non, il n’y a rien à faire, voilà que la réalité a des chaussures sans grâce, que les trottoirs sont verglacés, que les yeux des femmes sont cachés sous le bord de leur chapeau froid : « Les maisons sous le ciel / Ont blanchi / Les parcs et les ruelles / Sont sans bruit / C’est l’hiver si cruel / À Paris / Et la neige est l’hôtel / De la vie ». Aussi, en attendant « L’heure d’été / Et que le temps fasse un détour / Par juillet », on regarde « Les gens sous leurs manteaux / Qui sont gris / Les taxis les métros / Qui s’enfuient ». L’heure d’été, oui… On peut l’aimer, l’attendre, mais elle ne dure guère : « Mais quand les jours deviendront courts / Et glacés / Nous serons à nous mêmes notre propre lumière / Le feu de bois de nos hivers / Pour toi et moi je veux toujours / L’heure d’amour ». Il n’est pas impossible d’y parvenir puisque, même durant la froidure, « Les néons réconfortent / La nuit / Quelqu’un frappe à ma porte / Et c’est lui / Et alors que m’importe / Paris / Car la neige m’emporte / Avec lui ». Grâce à l’amour enfin, « Midi et minuit sont réconciliés / C’est le jeu de l’ombre et de la clarté / Nos corps dédoublés aux visages sombres / Aux cheveux dorés, aux cheveux dorés ». Allons, enfin, le temps ingrat est achevé, voici que c’est « L’hiver des cœurs / En ta maison / C’est la chaleur / Nous nous aimons » et voici qu’enfin, « C’est ton corps mon corps sur le drap brodé / À jamais liés et même nos ombres se donnent un baiser ».
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lundi, 29 octobre 2007
L’ÂGE QUI VIENT
On trouve parfois chez la Belle une obsession du vieillissement. Cela commence par l’observation des autres dames, celles qui vont chez le coiffeur. La coiffeuse se dit : « Un’ boucle un trou sont-elle(s) heureuses / Dans cette sécurité creuse / Même leurs amants sont prévus / Toujours pressés mais jamais nus ». C’est terrible, vraiment, de deviner ainsi, rien qu’en les voyant arriver, qu’« ell’s n’attend’nt plus rien de la vie / Un homme et des économies / Un peu de laque sur le tout ». Et la coiffeuse, fer et brosse en mains, n’a même pas besoin de demander si ce sera comme d’habitude, puisque ce sera, elle le sait et ça l’agace, « Pour toujours la mêm’ permanente / Ennuyeusement élégante ». Eh oui, ce n’est guère enviable et pourtant, les soirs d’automne sans doute, lorsqu’éternellement le ciel se déchire, la coiffeuse trop lucide s’avoue : « Pourtant j’ai des économies / Je n’sais pas quoi faire de ma vie / Un peu de cafard sur le tout ». Oui… On ne peut pas se moquer des autres très longtemps. Ni même, d’ailleurs, se poser trop de questions à leur sujet car, durant ce temps, la vie nous rattrape : « Et je finirai bien comme elles / J’finirai par les trouver belles », s’avoue la coiffeuse. L’encore jeune coiffeuse…
L’encore jeune coiffeuse qui ne se fait aucune illusion et, au bout du compte, se prend à désirer être comme elles, libres de leur temps et ayant débarqué leurs soucis au port de l’indifférence calme : « Ell’s n’ont jamais peur de perdre leur temps / Devant l’église ell’s s’arrêt’nt sans entrer / Parce qu’ell’s n’ont plus rien à demander ». Bien sûr, si l’on n’attend plus rien, c’est plus reposant, c’est facile, et les voilà « émues par un chat un bébé / Les vieill’s dam’s à qui je veux ressembler ». Alors naît le désir d’être au bout, et monte le chant de l’incantation finale : « Vieille / Si déjà je pouvais être vieille / Pour qu’enfin ma douleur s’ensommeille / Vieille / Pour que le vent de la nuit balaie / Les soucis les erreurs de la veille / Vieille / C’est vers le soir que l’on s’émerveille / Mais je n’en suis encore qu’à midi ». On dirait qu’elle le regrette, ce midi qui paraît s’attarder inconsidérément : « Sur mon visag’ que lira-t-on demain / Peut-on garder l’amour sans le chagrin ».
Et puis, une fois vieille ou en glissade consentante sur la pente qui y mène, on sait mieux qui est qui et ce qu’on peut attendre : « À toi j’dis des choses / Que j’dis pas aux autres / À toi j’peux parler / Comm’ quand j’suis tout’ seule / Pour toi j’mont’ les marches / Mêm’ si ell’s sont hautes / Mêm’ si à la fin / J’dois m’casser la gueule ». Faut-il que l’autre mérite enfin ces risques et cette abnégation ! Il faut dire que, certainement, on sait ce qu’on fait, on a payé cher cette connaissance, cette assurance : « Je ne suis bien qu’avec toi / Et les autres me font plus rire / Si t’es loin j’suis mal ça s’voit / Et j’ai plus envie d’sortir / C’est pas d’l’amour mais c’est mieux / Ça rest’ra quand on s’ra vieux ». La connaissance et la complicité se mesurent au silence lorsqu’il ne gêne pas, au silence qui est une langue : « Je ne suis bien qu’avec toi / Mêm’ si l’on a rien à s’dire / J’ai besoin qu’tu sois près de moi / Lorsqu’un autre me fait souffrir ». Oui, certes, « C’est pas d’l’amour mais c’est mieux » et, on le sait vraiment avec les années, « Ça rest’ra quand on s’ra vieux ».
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vendredi, 26 octobre 2007
DIFFICILE D’AIMER
L’amour ne fait pas de vieux os dans les chansons de Marie-Paule Belle. En tout cas, il ne se vit jamais facilement. La lucidité et l’inquiétude féminine commandent : « Être ensemble / C’est facile / Tout peut arriver / Être ensemble / C’est fragile / Tout peut se briser ». Mais il semble que seule la femme soit consciente de cela puisqu’il faut sans cesse dire à l’homme qui vit la tête dans les nuages : « Débranche ton soleil / Au moins un jour sur deux (…) / Le bonheur va plus loin que nous deux ». Seulement voilà, il ne comprend rien, cet imbécile. Alors, que faut-il faire ? La femme se demande : « J’veux être une garce / On doit pouvoir y arriver / J’veux être une garce / Puisqu’il faut ça pour être aimée » et elle se force à l’être, enfin, à essayer. À tenter de l’être. C’est faux, d’ailleurs, les hommes n’aiment pas les garces. Ce sont les femmes qui l’imaginent. Alors ? C’est simple, pourtant : « Les combats les voyages / Ça doit se vivre à deux / Je vivrai tes orages / Pour te comprendre mieux / Parce que je te ressemble / J’irai du même pas / L’amour se vit ensemble / Je ne t’attendrai pas ». Rien à faire, le type est sourd, alors, tant pis pour lui. Pourtant, les rêves étaient beaux, au départ, mais à présent, pense-t-elle : « Je n’t’attends plus il est trop tard / Pour dévier le cours de l’histoire ». Tant pis pour lui, vraiment, il n’avait qu’à ouvrir les yeux. Et à présent, il ne comprend pas, il ne comprend rien, une fois de plus. Il semble s’étonner de ce qui, depuis longtemps, lui pendait au nez. Elle s’agace : « Il n’y a rien à comprendre (…) / Et je n’ai fait que t’attendre / Pour te découvrir trop tard ». Seule la femme savait que « Même quand le ciel est dégagé / Qui peut parler d’éternité / L’amour explose et tout à coup / Tout part dans un torrent de boue ».
Cependant, il arrive – c’est rare – que ce soit lui qui ne veuille plus poursuivre, épisode après épisode, le récit commun : « De la fin de notre histoire / Ce fut lui qui décida / D’un sourire méritoire / Je sus cacher mon émoi ». La femme a d’autant plus de courage, alors, que tout s’écroule et la rend muette : « Que tu ne m’aimes plus / Je ne peux pas le croire / C’est comme si le jour / Ne s’était pas levé / Comme si le rosier / Fleurissait en décembre / Comme si notre chambre / Débouchait sur un quai ». Rien à faire, au bout du quai en question, debout, les yeux traînant dans les reflets idiots qui vont sans rien savoir, elle pense : « Tu parles déjà de moi à l’imparfait / Ils conjuguaient nos noms l’été dernier ». Ce doit être la faute de l’autre, l’autre femme, puisqu’il paraît – il paraît – que les hommes ne partent jamais seuls : « Elle t’a changé tu sais / Tu es content tu t’écout’s parler / Moi qui t’aimais je n’comprends pas / Tu es dev’nu si différent de moi ». Bah, c’est terrible, il n’y a pas d’espérance possible : « Quand tout ira bien quand nous serons amis / Sans plus de mensonge sans plus de jalousie / Enfin la confiance enfin l’indulgence / Notre amour sera fini ».
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mercredi, 06 juin 2007
D’AUTRES CHANSONS
Dans l’anthologie publiée chez Seghers en 1987, on a vu que figuraient un certain nombre d’inédits qui le sont restés, la Belle ne les ayant pas repris dans les disques qu’elle a enregistrés par la suite. On compte ainsi Saugrenu, Antinéa, Berceuse pour une voiture, Beyrouth, Châteaux de cartes, L’Oiseau gris, La Dame du vestiaire, Le Métro aérien, Un jour une semaine, c’est-à-dire l’équivalent d’un 33-tours, d’un court CD.
Ces chansons qu’on découvrira peut-être un jour se rattachent sans faillir aux « familles » qu’on a pu distinguer dans toutes les précédentes. Elles s’inscrivent dans les répertoires qui sont constamment ceux de Marie-Paule Belle depuis ses débuts. L’inquiétude féminine (une amoureuse « saugrenue » se voit, dans les yeux de son amant, reine de Saba, sultane, Mélusine), le sentiment ancien d’une amoureuse patiente (Antinéa), la présence du père dans l’enfance (Berceuse pour une voiture dit le rassurement à travers « le dos puissant de ton père »), la guerre (Beyrouth et les combats empêchent cet homme et cette femme, « Toi Mohamed et moi Sarah », de s’aimer), l’habitude de la cohabitation amoureuse dont on ne sait si elle freine ou aide à vivre (Châteaux de cartes), le départ précoce de celui à qui l’on voulait seulement montrer L’Oiseau gris, la femme oubliée qui murmure dans sa méditation (La Dame du vestiaire), le départ par le rêve et l’imaginaire dans Le Métro aérien, la durée de l’amour qu’on ne maîtrise jamais (Un jour une semaine), ne nous disent pas autre chose, finalement, que Je veux être une garce, Un peu chameau, un peu sultane, Quarante-deux colonnes corinthiennes, Compiègne, Ça restera quand on sera vieux, L’Homme volant, La Petite écriture grise ou bien encore toutes ces autres chansons qui ont établi l’univers de la Belle, son petit monde aux personnages constants, ses frayeurs cachées sous le rire et sa fragilité maquillée en virtuosité artistique.
Ce sont des chansons de femme, écrites par et pour une femme. Grisolia a certes participé à trois d’entre elles (Saugrenu, Le Métro aérien et Un jour une semaine) mais toutes les autres sont signées Françoise Mallet-Joris avec, comme on le sait, l’intervention de la chanteuse elle-même, d’où naît une alchimie parfaite.
Je rappelle que ce livre épuisé se trouve très facilement chez Price Minister, par exemple.
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dimanche, 13 mai 2007
LE RÉPERTOIRE SOCIAL
Étiquetée « chanteuse rigolote », notre Belle a cependant un répertoire social, historique, humain. On dit souvent « chansons engagées », alors que l’artiste est engagé par définition. L’artiste est engagé ou n’est pas.
En 1979, elle enregistre sa plus ancienne chanson dans ce registre, Berlin des années 20 : la montée du nazisme. Il ne s’agit pas d’un éditorial comme c’est le cas des mauvaises chansons « engagées », mais d’une œuvre artistique véritable parce qu’elle est bien écrite et que la musique, comme toujours, est talentueuse et inventive. « Les femmes avaient des cravates / Et tous les hommes étaient maquillés / On voyait des acrobates / Et ils étaient déséquilibrés / On buvait de la fumée / Comme on fumait des idées / Pianos déglingués / Rythmant des baisers / Dépourvus d’identité ». Si l’on a vu Les Damnés de Visconti, c’est un peu cela. Des instantanés saisissants, des photographies en noir et blanc : « Sur les vitres la buée / Laissait l’avenir caché / Chanteuse d’un soir / Tu n’as pas su voir / Plus loin que le coin du bar ».
La même année, d’allégorie en allégorie, on demande finalement, avec L’Enfant et la mouche, cette chanson au titre de fable : « Toi qui lis les journaux / Qui a des idées / Sais-tu regarder / Ces choses qui sont si naturelles / Qu’on oublie souvent qu’elles sont cruelles ». Avec lucidité, on constate : « On a pitié on en parle un peu / Et ça nous rassure / On veut croire que ça va mieux », avant l’aveu final, très amer : « Et puis on s’en va / Pour pleurer au cinéma ».
En 1981, la Belle fait partie des artistes soutenant la candidature de François Mitterrand à la présidence de la République. On peut la revoir à l’époque – oh, quelques secondes seulement – sur le site de l’INA. Juste après, elle chante cette excellente chanson au titre trop long, Paris, fais-toi faire un lifting : « Paris pourquoi t’es si morose / Il faut toujours chanter les choses / Remonte sur le ring / Rajeunis ton feeling / Paris fais-toi faire un lifting ». Elle évoque la Commune, la Grande guerre, mai 1968.
L’année 1982, L’Amérique, c’est ça traite de ces sujets dont on ne veut pas qu’il soit possible de les dire en chanson – et pourtant, la chanson, c’est ça. Des émigrants de toute sorte vont chercher, de l’autre côté de l’océan, quoi ? Qui sont-ils, plus tard ? « Des Ritals qui parlent mal / Des Indiens qui parl’nt pas bien / Des Chinois qui parlent pas / Des gens qui ne se comprenn’nt pas / Mais qui sont tous au moins / Américains ». Tous ces gens sur une terre qui, elle-même, est quoi donc ? « C’est un quartier de Pékin / Une banlieue de Dublin / Où l’on pose sa valise / Croyant que c’est la terr’ promise / Des Africains porto-ricains / Américains ».
La même année, dans le même disque, le souci de la guerre revient à petites touches. Le Berlin dépeint trois ans plus tôt a donné ce qu’on sait et maintenant, longtemps plus tard, on chante Compiègne : « Un coin de France en montant vers le Nord / D’où des millions de gens sont partis vers la mort (…) Où est la poste ? un gamin te répond / C’est juste derrière le camp de concentration ». Une chanson brève, grave, précise.
En 1985, Sur un volcan, cet excellent texte désenchanté (« Le monde est une apocalypse / Que reste-t-il de nos espoirs »), revendique l’élégance (« Il nous reste cette élégance / Maquillons notre désespoir ») et avance : « Et sur un volcan si l’on danse / Dansons en vêtements du soir ». Pourquoi ? Par hauteur de vue, par noblesse, par désespérance polie : « Car sur un volcan / Il faut rester chic c’est important ». À la foudre, on répond par l’été ; la poudre, on s’en maquille le visage. Il faudrait citer tout le texte, dont l’écriture est étrange. Il n’est pas satirique, il est désespéré mais sait le dire pour enfin conclure : « Frivolité pauvre déesse / Dont on a tellement médit / Tu es la seule qu’il nous reste / Tu es le courage aujourd’hui ».
En 2005, avec Manteau rouge et gants blancs, entrent les SDF dans l’univers de la Belle mais, on le note, toujours sur fond de vies de femmes : « Elle avait trente ans sans avoir d’âge / Ell’ portait des gants blancs / Son manteau rouge et ses pieds nus/ Faisaient rir’ les enfants / Toujours les mêmes les mêmes / Elle avait trente ans sans avoir d’âge / Elle en avait vu tant ». Chanson narrative car, au rebours des autres citées ici, elle raconte une petite histoire et conclut : « Que s’est-il passé on n’a pas su / Nous dormions insouciants / Une histoire d’amour et de misère / Un fait divers troublant /Toujours le même le même ».
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vendredi, 11 mai 2007
L’ENFANCE
L’enfance, chez Marie-Paule Belle, est comme souvent douce et nostalgique, teintée de quelque douleur et d’inquiétude cependant. Est-ce vraiment le portrait du docteur Belle que ceci : « Quarante-deux colonnes corinthiennes / Dans la salle à manger / Et papa qui dormait / Devant l’eau de Vittel » ? N’empêche que, dit la chanteuse, « Mon enfance baîllait / Dans la glace ». Si l’angoisse est commune à l’enfance de chacun, la Belle l’exprime toujours : « L’avenir est douteux / Paquet que l’on emballe / Du bout des doigts des yeux / Dans du papier journal ». Il reste que, dans ce temple du jeune âge, se dressaient Quarante-deux colonnes corinthiennes, pas n’importe lesquelles : « Quarante-deux colonnes éternelles / Protégeant de la peur / Dans la vie quotidienne / C’est le géant qui meurt ».
Omniprésente, l’image de la mère trop tôt disparue, cette mère à laquelle Marie-Paule Belle n’a pas voulu « succéder », même si elle mit longtemps à s’en remettre, ainsi qu’elle le raconte dans ses souvenirs. Il faudrait citer l’intégralité du texte Les Petits dieux de la maison, dans lequel vit Mme Belle, à la maladresse touchante : « Les objets semblaient se dissoudre / Quand tu les appelais je crois / Ils revenaient autour de toi ». La chanteuse se souvient des petits dieux qui « souriaient en te voyant faire / Avec amour et déraison / Si maladroitement ma mère ». Cette mère savait toutefois faire vivre la maison avec générosité et dans le mouvement grouillant de l’enfance : « Mais à table vite attendrie / Tu invitais tous nos amis ». Disparue trop tôt, Mme Belle, et sa fille n’en est pas revenue : « Mais où est ton amour ma mère / Devant ce silence et ce froid / Ton ombre m’apparaît parfois / Cherchant s’il n’y a rien à faire / Comme un ange un peu maladroit ».
Grâce à Mme Belle, cependant, nous écoutons aujourd’hui une excellente musicienne, d’une inventivité constante, dont les compositions conservent une « couleur » propre sans être jamais répétitives. Elle apprend la musique à la petite fille qui nous enchante aujourd’hui et c’est L’Impromptu de Schubert. Elle la lui apprend sans la contrainte, simplement avec la joie : « Quand ma mère jouait pour moi / Les impromptus de Schubert / Il lui arrivait souvent d’faire un accord à l’envers / Alors, elle riait, honteuse / En disant j’n’ai plus les doigts d’avant / Quant à moi j’étais heureuse / Ce qui importe c’est l’instant présent ». Et la jeune fille s’amuse comme une folle : « Alors j’esquintais Schubert et ma mère me grondait j’aimais ça / Le jazz était déjà en moi et ma mère ne comprenait pas ». Toutes deux jouent et s’aiment : « Alors quelquefois pour rire / On jouait ensemble à quatre mains / Quand j’y pense je peux dire / Que c’était faux, mais que c’était bien ». Et puis reviennent les images familières, parlent de nouveau les petits dieux : « Quand ell’ quittait sa cuisine / Le tablier sous les seins », ou bien « Repartant dans sa cuisine / Elle me laissait avec cet air-là / Dans l’odeur des aubergines ». La Belle rêve un instant de poursuivre la chaîne (« Et quand je jouerai pour toi les impromptus de Schubert / Il m’arrivera souvent d’faire un accord à l’envers / Toi ma tout’ petite fille / Qui n’atteint pas encore le clavier / Tu ignores la mélodie / Tu l’ignore(s) encore mais je t’apprendrai »), mais elle n’aura pas d’enfant. Elle enregistrera toutefois un disque pour les petits.
Et pourtant, des crayons de couleurs dansent encore dans les doigts de la fillette. Dans les dessins d’enfants, c’est connu, « Tout paraît plus haut / Tout paraît plus grand ». À travers une angoisse métaphysique (« Faut-il que je vieillisse / Que tout soit de plus en plus petit »), se faufile le retour aux images de la petite fille et aux proportions de son regard : « Dans les dessins d’enfants / On voit ses parents / Comme des géants / Et sous notre crayon / Toutes les maisons / Touchent l’horizon ». Puis la nostalgie déçue se manifeste à nouveau (« Mais les couleurs ternissent / On ne dessine plus, on grandit »).
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mercredi, 18 avril 2007
ÉCRIRE, TÉLÉPHONER
Chez Marie-Paule Belle, les lettres d’amour, on n’y répond pas, elles se perdent, elles sont mises au rebut. Pas de chance. Il y a des grèves et l’on n’ose pas envoyer des télégrammes. Ce n’est pas facile… Encore ne s’agit-il là que d’un aspect de l’incommunicabilité. Incompréhension de l’amour, dans l’amour : « Si tu recevais du papier bleu qu’en dirais-tu / Que je fais toujours des drames ». On n’ose pas, on avance sur la pointe de la plume : « Mais ma lettre a su rester discrète / Si toutes les lettres s’interprètent / (…) J’espère un jour que tu comprendras ». On espère – dans les deux sens du mot – toujours ; on espère parce qu’on n’ose guère faire plus. Parfois, c’est affreux : « La lettre d’amour que l’on jette aux ordures ». Comment communiquer ? Il y a le téléphone, mais on aboutit à un répondeur et « Pour tout l’amour du monde / On n’a que trent’ secondes ». On appelle, on rappelle, on s’appelle, on se rate, on ne se retrouve pas : « J’t’adore, message terminé ». C’est triste et « On a beau croiser nos voix sur les fils électriques / Y a pas d’étincelle » puisqu’il faut « En dix s’cond’s se dir’ tout / Attention c’est à vous / Enregistrer sa vie / Cri d’amour dernier cri / Mêm’ le répondeur est / Occupé… occupé… occupé ». Enfin, il y a des fois où l’on utilise les cabines publiques quand la boîte aux lettres reste désespérément vide : « Je n’ai pas le téléphone / Et tu ne m’écris jamais ». Alors, bien sûr « Je descends pour t’appeler » mais peut-être aurait-il mieux valu ne pas le faire : « Et dans la cabine en verre / Tu me dis que c’est fini / Qu’on peut rester bons amis / Que c’est pas la guerre ».
Pas gai, n’est-ce pas ? Eh oui, ça change de La Parisienne, de Wolfgang et moi ou de Nosferatu, de L’œuf ou du Menu. On ferait bien de prêter attention à ces chansons, tout de même. On ferait bien, aussi, de relever combien les chansons de Marie-Paule Belle sont révélatrices de l’époque où elles furent écrites : il y a là un temps où l’on s’écrivait encore par la poste, où les premiers répondeurs apparaissaient et où l’on se croyait tenu de préciser que le message était terminé, où l’on n’avait pas le téléphone chez soi et où l’on devait aller jusqu’à la cabine du bout de la rue, et faire la queue puisqu’elle était forcément occupée.
Cela ne signifie nullement que ces chansons soient datées. D’ailleurs, qu’est-ce que ça veut dire, ce mot ? Nous sommes tous datés. Nous sommes oblitérés comme des timbres-poste. Nous portons un cachet comme une trace chiffrée, lisible. Au contraire, ce sont d’excellentes chansons qui témoignent de leur temps, ce qui est la meilleure manière de s’inscrire dans notre imaginaire, le plus sûr moyen, même si c’est paradoxal, de durer.
(Photo Marc Attali)
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