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dimanche, 13 mai 2007

LE RÉPERTOIRE SOCIAL

Étiquetée « chanteuse rigolote », notre Belle a cependant un répertoire social, historique, humain. On dit souvent « chansons engagées », alors que l’artiste est engagé par définition. L’artiste est engagé ou n’est pas.

En 1979, elle enregistre sa plus ancienne chanson dans ce registre, Berlin des années 20 : la montée du nazisme. Il ne s’agit pas d’un éditorial comme c’est le cas des mauvaises chansons « engagées », mais d’une œuvre artistique véritable parce qu’elle est bien écrite et que la musique, comme toujours, est talentueuse et inventive. « Les femmes avaient des cravates / Et tous les hommes étaient maquillés / On voyait des acrobates / Et ils étaient déséquilibrés / On buvait de la fumée / Comme on fumait des idées / Pianos déglingués / Rythmant des baisers / Dépourvus d’identité ». Si l’on a vu Les Damnés de Visconti, c’est un peu cela. Des instantanés saisissants, des photographies en noir et blanc : « Sur les vitres la buée / Laissait l’avenir caché / Chanteuse d’un soir / Tu n’as pas su voir / Plus loin que le coin du bar ».

La même année, d’allégorie en allégorie, on demande finalement, avec L’Enfant et la mouche, cette chanson au titre de fable : « Toi qui lis les journaux / Qui a des idées / Sais-tu regarder / Ces choses qui sont si naturelles / Qu’on oublie souvent qu’elles sont cruelles ». Avec lucidité, on constate : « On a pitié on en parle un peu / Et ça nous rassure / On veut croire que ça va mieux », avant l’aveu final, très amer : « Et puis on s’en va / Pour pleurer au cinéma ».

En 1981, la Belle fait partie des artistes soutenant la candidature de François Mitterrand à la présidence de la République. On peut la revoir à l’époque – oh, quelques secondes seulement – sur le site de l’INA. Juste après, elle chante cette excellente chanson au titre trop long, Paris, fais-toi faire un lifting : « Paris pourquoi t’es si morose / Il faut toujours chanter les choses / Remonte sur le ring / Rajeunis ton feeling / Paris fais-toi faire un lifting ». Elle évoque la Commune, la Grande guerre, mai 1968.

L’année 1982, L’Amérique, c’est ça traite de ces sujets dont on ne veut pas qu’il soit possible de les dire en chanson – et pourtant, la chanson, c’est ça. Des émigrants de toute sorte vont chercher, de l’autre côté de l’océan, quoi ? Qui sont-ils, plus tard ? « Des Ritals qui parlent mal / Des Indiens qui parl’nt pas bien / Des Chinois qui parlent pas / Des gens qui ne se comprenn’nt pas / Mais qui sont tous au moins / Américains ». Tous ces gens sur une terre qui, elle-même, est quoi donc ? « C’est un quartier de Pékin / Une banlieue de Dublin / Où l’on pose sa valise / Croyant que c’est la terr’ promise / Des Africains porto-ricains / Américains ».

La même année, dans le même disque, le souci de la guerre revient à petites touches. Le Berlin dépeint trois ans plus tôt a donné ce qu’on sait et maintenant, longtemps plus tard, on chante Compiègne : « Un coin de France en montant vers le Nord / D’où des millions de gens sont partis vers la mort (…) Où est la poste ? un gamin te répond / C’est juste derrière le camp de concentration ». Une chanson brève, grave, précise.

En 1985, Sur un volcan, cet excellent texte désenchanté (« Le monde est une apocalypse / Que reste-t-il de nos espoirs »), revendique l’élégance (« Il nous reste cette élégance / Maquillons notre désespoir ») et avance : « Et sur un volcan si l’on danse / Dansons en vêtements du soir ». Pourquoi ? Par hauteur de vue, par noblesse, par désespérance polie : « Car sur un volcan / Il faut rester chic c’est important ». À la foudre, on répond par l’été ; la poudre, on s’en maquille le visage. Il faudrait citer tout le texte, dont l’écriture est étrange. Il n’est pas satirique, il est désespéré mais sait le dire pour enfin conclure : « Frivolité pauvre déesse / Dont on a tellement médit / Tu es la seule qu’il nous reste / Tu es le courage aujourd’hui ».

En 2005, avec Manteau rouge et gants blancs, entrent les SDF dans l’univers de la Belle mais, on le note, toujours sur fond de vies de femmes : « Elle avait trente ans sans avoir d’âge / Ell’ portait des gants blancs / Son manteau rouge et ses pieds nus/ Faisaient rir’ les enfants / Toujours les mêmes les mêmes / Elle avait trente ans sans avoir d’âge / Elle en avait vu tant ». Chanson narrative car, au rebours des autres citées ici, elle raconte une petite histoire et conclut : « Que s’est-il passé on n’a pas su / Nous dormions insouciants / Une histoire d’amour et de misère / Un fait divers troublant /Toujours le même le même ».

18:05 Publié dans Gloses | Lien permanent | Commentaires (0)

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